La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève Articles N° 1048 - novembre 2004L’arme de la peur

ACTUALITÉS - CELLE DONT ON PARLE BEAUCOUP :

L’arme de la peur

par M.-L. DUBOIN
novembre 2004

Rien de plus déprimant que suivre l’actualité en ce moment. Au point qu’une de mes amies ne veut même plus savoir quelles sont les nouvelles réformes annoncées, ni observer si telle multinationale, qui prévoit des licenciements en masse, annonce un bénéfice record, ni quelles sont les nouvelles exonérations de charges dont va profiter telle catégorie d’entreprises parce qu’il faut, très libéralement, soutenir leur compétitivité. Pas même quelles sont les chances de voir le clan Bush empêché de nuire ou un processus de paix s’amorcer au Moyen Orient !

Cette politique de l’autruche est en général assortie d’un défaitiste : « de toute façon, on n’y peut rien ».

On peut pourtant tirer au moins quelques leçons de l’actualité.

Par exemple, celle des États-Unis est une édifiante démonstration du pouvoir qu’on peut exercer quand on parie sur la peur et sur le manque d’esprit critique.

La chaîne Arte en particulier, mais d’autres médias aussi, ont aidé, pendant toute la campagne présidentielle, par de nombreux reportages et interviews, à découvrir la mentalité américaine, parfois difficile à comprendre. On a pu ainsi mesurer quel immense service El Qaida a rendu à George W : depuis le “11 septembre”, le peuple américain est maintenu dans un tel état de peur permanente qu’une bonne moitié de la population ne réfléchit pas. Elle ne met jamais en doute ce qui lui est affirmé dans le journal, à la télé, et à plus forte raison par son Président (ce serait même considéré comme un manque de civisme). Cette attitude est d’autant plus répandue que l’esprit critique n’est pas vraiment développé par l’école, d’où le citoyen américain ressort le plus souvent sans savoir grand’chose du reste du monde et ne voit guère de différence, par exemple, entre Afghanistan et Irak. Par contre, beaucoup des personnes interrogées par divers enquêteurs, ont exprimé leur admiration pour les pionniers de la conquête de l’Ouest, tellement présents dans leur imaginaire qu’apparemment elles ne rêvent que de les imiter, l’arme au poing, prêtes à abattre, au moindre soupçon de menace, tout de qui bouge. Ainsi préparé, le citoyen moyen croit les paroles simples de celui qui ne passe pas pour plus intellectuel que la majorité d’entre eux, mais qui proclame haut et fort que c’est Dieu qui, guidant ses pas depuis qu’il a cessé de pêcher, lui dicte comment faire preuve de sa force pour que son peuple n’ait plus à craindre personne au monde. Et c’est dans ce contexte qu’une bonne moitié du peuple américain croit encore que c’est en représailles contre Ben Laden que Bush a envahi l’Irak ! Et qu’elle excuse toutes les violences commises sous ce prétexte, y compris les bombardements de civils, les tortures et les détentions arbitraires, comme à Guantanamo. Elle en arrive à justifier les atteintes à la liberté des autres en tant que défense de la Liberté des états-uniens.

Certes, nous n’avons pas à voter pour ou contre Bush, mais en suivant cette actualité, je me suis dit qu’il faut au moins en tirer les leçons. (On peut même faire des rapprochements en se rappelant le rôle joué en Frace par la mise “à la une” de l’insécurité avant les présidentielles de 2001).

La première est de prendre conscience de la puissance qu’est l’arme de la peur, pour ne pas en être victime. Se rappeler que sous l’emprise de la peur, on ne réfléchit plus, on fait n’importe quoi et on se met ainsi à la merci de l’autre. La deuxième est que le principe de laïcité est le garant d’une bonne démocratie, mais qu’il faut aussi veiller à ce qu’il soit appliqué. Enfin qu’avant de juger, il importe d’être bien informé et que face à une “information”, il est prudent de faire preuve d’esprit critique… Ce qui devrait être enseigné dès la petite enfance, et même dans les Grandes Écoles, car c’est sans doute encore plus nécessaire que l’anglais mais, hélas, tellement moins répandu… !