La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève Articles N° 1069 - octobre 2006Au fil des jours

Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
25 septembre 2006

Progrès technique et emploi

Calitel cerises, Calitel abricots, Calitelwist… Ce sont les noms des trois dernières “calibreuses” mises au point par l’entreprise Caustier [1]. La première est conçue pour trier les tomates cerises, les litchees, les kumquats,… la seconde pour calibrer les abricots et fruits de même taille, la troisième les pêches, pommes, tomates,… En plus de leur capacité à manipuler des fruits délicats, elles sont équipées d’un dispositif permettant de séparer les queues des fruits jumeaux ou triples. Les fruits sont pesés au gramme près et déposés délicatement dans les compartiments définis par un programme informatique. La cadence, actuellement de 8,5 godets à la seconde, sera bientôt portée à 10.

Le fabricant ne dit pas combien cela supprime d’emplois d’emballeuses de fruits.

Mais l’entreprise fabrique aussi des calibreuses moins sophistiquées, ne faisant pas appel à l’informatique, par exemple les calibreuses mécaniques de mangues pour le Burkina Faso (qui ne dispose pas d’informaticiens à proximité des lieux de production) sont capables de traiter 25 tonnes de mangues à l’heure. Il n’est donc pas étonnant que les Burkinabés viennent chercher du travail en Europe… où ils n’en trouvent pas davantage.

Les économistes orthodoxes persistent cependant à nous dire que le progrès technique ne crée pas de chômage, que ceux qui perdent un emploi dans les secteurs primaire ou secondaire en retrouvent un dans celui des services et des nouvelles technologies. C’est ainsi que :

• Le cablo-opérateur NOOS-UPC va se séparer de 862 salariés, ce qui correspond aux deux tiers de son personnel [2]. Les licenciements toucheront particulièrement les services techniques, administratifs et les centres d’appel téléphoniques qui seront externalisés. Même si NOOS-UPC prévoit de recruter près de 150 commerciaux, le bilan est quand même 712 salariés en moins.

• L’ancien N°1 mondial de l’accès à internet, AOL, va supprimer 5.000 emplois dans les six prochains mois [3], ce qui correspond à un peu plus deu quart de ses effectifs. C’est la cinquième vague de suppressions d’emplois chez AOL depuis 2000.

• Le PDG du groupe américain Intel, premier fabricant mondial de microprocesseurs, a prévenu ses salariés : « Intel doit devenir une compagnie plus agile et plus efficace » [4]. Il faudra pour cela supprimer 10.500 emplois, ce qui permettra d’économiser 2 milliards de dollars en 2007 et 3 milliards en 2008. L’entreprise a pourtant réalisé un bénéfice net de 7,5 milliards en 2004 et puis de 8,7 milliards de dollars en 2005. Mais où vont donc se recaser les licenciés de ces secteurs “porteurs” ? Dans l’emballage des fruits ?

La souveraineté de la BCE

L’Eurogroupe [5] est présidé par le premier ministre et ministre des finances luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Son mandat arrive à terme à la fin de l’année. Il envisage de le prolonger, mais à condition de disposer d’une “feuille de route” claire pour « travailler de manière sérieuse et professionnelle » [6]. Il souhaite notamment mieux coordonner les politiques économiques des pays membres et pour cela intensifier le dialogue avec la BCE, la banque centrale européenne.

Au printemps, M. Juncker avait donc exprimé le désir de rencontrer plus souvent le Président de la BCE, Jean-Claude Trichet, afin d’améliorer le pilotage macro-économique de la zone euro. Pas question : arguant de l’indépendance de l’institut d’émission, J-C Trichet avait décliné l’invitation, et J-C Juncker avait averti : « Si nous ne discutons pas dans un salon, il m’entendra par haut-parleur ».

Il faut savoir que J-C Juncker est le père de la réforme du pacte de stabilité et qu’à la fin de l’année 2005 il s’est permis de mettre en garde la BCE contre toute décision trop hâtive de hausse des taux.

Bravo les banques !

Jamais les banques n’ont été aussi riches6. Elles s’imposent comme l’un des “secteurs moteurs” de l’économie (avec les groupes pétroliers et de construction). Au premier semestre 2006, BNP-Paribas a réalisé un bénéfice de 3,9 milliards d’euros. Juste derrière elle, le Crédit agricole (CA) faisait 3,7 milliards d’euros de profits dont 2,7 milliards pour ses activités cotées en Bourse. Avec “seulement” 2,8 milliards d’euros la Société générale arrivait donc bien après. Les experts financiers pensent qu’en 2006 l’ensemble de la profession établira un nouveau record et le CA aussi, dont le président, M. Carron, estime que la rentabilité du groupe n’a plus rien à envier à celle des grandes banques privées, elle atteint 19 % !

Ses dirigeants “croient à une synthèse heureuse entre capitalisme et mutualisme” et que malgré sa mondialisation à outrance, le Crédit agricole ne perdra pas son âme mutualiste. Pour le responsable de son développement en France, Jacques Lenormand, le Crédit agricole « incarne un modèle de banque efficace, conjuguant accès aux marchés et stabilité des caisses régionales défendant un “capitalisme industriel” plutôt qu’un “capitalisme financier” obsédé par le cours de Bourse ». Qui le croit ?

Signes de ralentissement aux E-U.

« Les dépenses de consommation ont augmenté lentement dans la plupart des régions, grevées par de mauvaises ventes d’automobiles et de biens immobiliers […] Dans certaines régions, les stocks des concessionnaires automobiles débordent » [7]. Au deuxième trimestre, la productivité non agricole a augmenté d’à peine 1,6% en rythme annuel et les coûts unitaires du travail ont progressé de 4,9% (et de 5% sur un an, rythme le plus élevé depuis 1990). « C’est une mauvaise nouvelle pour la Fed », estime l’économiste en chef de Global Insight, qui précise que « la combinaison d’une croissance plus faible et l’accélération de l’inflation des salaires met la Fed dans une position difficile car l’augmentation des coûts du travail devrait sans doute encore pousser vers le haut l’inflation de base, hors alimentation et énergie ».

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[1] L’Indépendant, 10/08/2006.

[2] La Tribune, 07/09/2006.

[3] Le Monde, 6-7/08/2006.

[4] Le Monde, 07/09/2006.

[5] L’eurogroupe est une instance informelle où siègent les douze ministres des finances de la zone euro, formée par les pays de l’Union européenne qui ont adopté l’euro comme monnaie.

[6] Le Monde, 08/09/2006.

[7] Livre Beige de la Réserve fédérale américaine, 06/09/2006.