La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève Articles N° 1115 - décembre 2010Le mariage emploi-revenu

Après avoir traité du travail et de l’emploi, Roland Poquet aborde maintenant les revenus des travailleurs, la relation salariale :

Le mariage emploi-revenu

par R. POQUET
31 décembre 2010

Notre système économique, fondé sur l’échange, a pris appui jusqu’à présent sur le socle travail/revenu dont nous ne cesserons de rappeler le mécanisme : j’offre ma force de travail pour, en échange, recevoir un salaire qui me permettra d’acquérir une partie de la richesse créée, la vente des produits dégageant un bénéfice qui, en partie réinvesti, permettra à nouveau le versement d’un salaire … et le cycle de l’échange de reprendre. Ce cycle a fonctionné tant que l’offre était insuffisante par rapport à la demande : salaires et emplois grimpaient allègrement de concert. Le premier coup de semonce a été donné en 1929 et le second au début des années 70 : depuis, la demande ne parvient plus à suivre l’offre des produits et, par voie de conséquence, la croissance perd de son intensité d’année en année : alors qu’elle était de 5,6% dans les années 60, elle tombe à 3,7% dans les années 70, à 2,2% dans les années 80, 1,8% dans les années 90, et est devenue quasiment nulle de nos jours. Le socle vertueux travail / revenu a basculé et, sous la pression de la concurrence internationale et surtout des technologies appliquées à la production et à la distribution, le chômage n’a cessé de progresser jusqu’à atteindre 10 % de la population active. Cela fait quarante ans que le phénomène se développe et s’avère irréductible à toute résorption. C’est alors qu’apparaissent un certain nombre de paradoxes qui dévoilent l’aspect irrationnel de l’économie de l’échange. Nous en citerons quelques-uns parmi ceux qui affectent les domaines de l’emploi et des revenus :

•une France, considérée comme la cinquième puissance mondiale, qui voit augmenter, impuissante, la paupérisation de sa population et, partant, se développer le recours à la charité organisée.

•une économie de gaspillage qui pousse la production à son maximum afin de maintenir emplois, salaires et profits, alors que les ressources de la planète s’épuisent et que les pollutions menacent le bien-vivre de l’humanité.

•des “seniors“ tenus de travailler au-delà de 60 ans et qui ne le veulent pas, tandis que des centaines de milliers de “jeunes“ veulent entrer dans la sphère du travail mais ne le peuvent pas.

•une formation hautement souhaitable mais qui se heurte à l’incohérence des marchés : se former, pour quoi, comment, alors que des “bac+ 5” ne trouvent pas à s’employer.

•une insuffisance criante de personnel dans les secteurs à forte implication humaine - santé publique, enseignement, justice, police, recherche, culture, services à la personne… - mais ces secteurs souffrent d’une absence totale de rentabilité si bien qu’ils ne peuvent bénéficier du personnel indispensable.

Face à ce naufrage collectif, à cette déperdition d’emplois, le pouvoir en place - quel qu’il soit – se trouve acculé à user d’expédients : comme l’emploi se dérobe, entrainant dans sa chute la formation des revenus, sauvons cette fois le “soldat” revenu en distribuant aides, allocations, compléments, primes, couvertures financières… La liste de ces revenus, attribués à des millions de personnes par l’État et les Collectivités territoriales sans contrepartie d’une tâche quelconque, est impressionnante, mais ne prétend pas, hélas, être exhaustive.

La voici :

Revenus distribués sans travail en contrepartie

Demandeurs d’emploi :
- Contrat de transition professionnelle (CTP)
- Contrat d’insertion dans la vie sociale (civis)
- Revenu de solidarité active (RSA), a remplacé au 1/07/09 le RMI et l’API (allocation de parent isolé).
- Allocation exceptionnelle pour les chômeurs en fin de droit.
- Allocation aux adultes handicapés
- Allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE)
- Allocation de solidarité spécifique (ASS)
- Allocation temporaire d’attente (ATA)
- Allocation équivalent retraite (AER)
- Allocation de préretraite de licenciement (AFSNE)
- Allocation de préretraite progressive.

Elever les enfants :

A partir du premier enfant :
- La prime à la naissance ou à l’adoption
- L’allocation de base
- Le complément optionnel de libre choix d’activité
- Le complément de libre choix du mode de garde
- L’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée
- L’allocation de garde d’enfant à domicile
- L’allocation de soutien familial
- L’allocation d’éducation de l’enfant handicapé
- L’allocation journalière de présence parentale
- L’allocation de rentrée scolaire

A partir du deuxième enfant :
- Les allocations familiales

Trois enfants et plus :
- Le complément familial

Le logement :
- Aide personnalisée au logement (APL)
- Aide pour le logement et l’exclusion sociale
- Allocation de logement familiale
- Allocation de logement sociale
- La prime de déménagement
- Le prêt à l’amélioration de l’habitat
- L’allocation d’installation étudiante

Aides diverses :
- Allocation de solidarité aux personnes âgées
- Allocation d’accompagnement d’un proche en fin de vie
- Allocation personnalisée à l’autonomie
- Allocation ou pension d’invalidité
- Allocation de chômage
- Allocation de veuvage
- Couverture maladie universelle (CMU)
- Bourses aux étudiants
- Complémentaire santé aux étudiants

Pensions – Retraites – Sécurité sociale Subventions :
- aux agriculteurs (70 % des revenus des agriculteurs proviennent des subventions)
- à l’industrie
- aux banques

N.B. Fin mars 2008 : les handicapés réclament un revenu d’existence.

Après avoir pris connaissance de cette liste, nous nous demandons si nous n’assistons pas au divorce d’un couple plusieurs fois millénaire : l’emploi et le revenu ? Sommes-nous au début d’un processus qui verra peu à peu le revenu détaché d’un emploi précis ? Les perspectives sont vertigineuses.