La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève Articles N° 871 - octobre 1988L’économie à l’institut d’études mondialistes

L’économie à l’institut d’études mondialistes

par R. MARLIN
octobre 1988

L’Institut d’Études Mondialistes a tenu sa 11e session du 23 au 30 juillet 1988, en Gironde, au château de La Lambertie, ainsi que nous l’avions annoncé (1). En l’absence de Marie-Louise Duboin, retenue pour des raisons professionnelles, André Prime et René Marlin ont parlé d’économie distributive dans le cadre du programme général consacré à l’économie mondiale.

Pourquoi l’économie ?

Distributiste et mondialiste convaincu, Jean Prédine, architecte-urbaniste, a ouvert la série des conférences en s’attachant à expliquer pourquoi les mondialistes avaient choisi ce thème. C’est qu’à partir de 1946, traumatisés par les années de guerre et conscients du péril nucléaire, ils avaient jugé que la paix ne pouvait être sauvée et maintenue que par des institutions mondiales supranationales. De la recherche d’une solidarité sans frontières, ils en étaient venus à la lutte contre la faim, puis au développement, passant donc obligatoirement par les questions économiques. Jalonné par les noms de Stringfellow Barr, de l’abbé Pierre, de Lord Boyd-Orr, de Josué de Castro et de François Perroux notamment, cet itinéraire devait amener les Citoyens du Monde à leur sujet de juillet 1988.

Économies et gouvernement mondial

Georges Bernard, Directeur honoraire de recherche au C.N.R.S., brossa un large tableau d’ensemble de l’économie mondiale sous tous ses aspects. Classant les différents systèmes existant en économie de marché, économies panifiées et économies des pays en voie de développement, il fit un état des arguments économiques en faveur d’un gouvernement mondial. Tout cela sans sortir des méthodes actuelles d’échanges et de diplomatie qui ont pourtant, d’après nous, fait amplement la preuve de leur impuissance.

Fédéralisme intégral

Alexandre Marc, chantre du fédéralisme intégral (2) et proudhonien "libre" après avoir fait un historique du fédéralisme, se livra à une analyse critique de la situation économique actuelle. Il fit remarquer que les régimes de l’Ouest et de l’Est ne sont pas essentiellement différents en ce qui concerne les échanges, l’un étant un capitalisme privé, l’autre un capitalisme d’état. "Lorsque deux systèmes contraires d’une civilisation (capitalisme et marxisme) produisent tous les deux des effets négatifs, cette civilisation touche à sa fin" affirma-t-il. Ajoutant : "L’économie mondiale d’aujourd’hui, c’est la jungle". Et pourtant le problème de la production étant théoriquement résolu, c’est celui de la répartition qui subsiste seul. A. Marc prône la planification non étatique (Proudhon), la suppression du salariat (qui n’a que 4 siècles), le revenu minimum (mais pas le revenu d’insertion qui conduirait à la société duale), la participation. Quoiqu’en des termes quelquefois différents, il décrivit le capitalisme d’une manière analogue à la nôtre. A l’une de nos questions, il répondit en reconnaissant le grand service rendu par Jacques Duboin lorsqu’il stigmatisait "la misère dans l’abondance". Il tint néanmoins à confirmer son désaccord avec nos solutions, précisant qu’il est contre toute conception "moniste" de l’économie (3). Et pourtant nos propositions ne sont que les conséquences de l’analyse sans complaisance du système.

L’économie de réciprocité

William Grossin, docteur en sociologie, ès-lettres et sciences humaines, Professeur honoraire de l’Université de Nancy, attira l’attention sur l’intérêt d’étudier certaines formes archaïques de l’économie et d’expliquer comment elles ont pu, dans certains cas, résister après quatre siècles de colonisation. Dans ce domaine, Dominique Temple ethnosociologue, a rendu compte de dix années de présence sur le plateau andin du Pérou et dans l’Amazone bolivienne. L’économie de réciprocité pratiquée dans ces contrées se caractérise par l’accumulation du travail et des produits, non pas en vue d’un profit, mais pour donner et ainsi augmenter son prestige et, à terme, son pouvoir.

La socio-économie

Pierre Vinot, ancien membre du Conseil économique et social, stigmatisa lui aussi les échecs de l’économie conventionnelle, impuissante à satisfaire les besoins fondamentaux des individus, alors que les moyens de production existent. Il regretta que la plupart des journalistes économiques et même l’INSEE fassent entrer les chômeurs dans la catégorie des "actifs" et comptent dans les "prélèvements obligatoires" les cotisations sociales et familiales qui n’ont rien de "prélèvements" puisqu’elles sont redistribuées intégralement. Il critiqua l’économie dominante en des termes élégants mais sans appel. Pierre Vinot nous fut un allié précieux lors des nombreuses discussions qui eurent lieu, aussi bien au cours des séances plénières, après les cours, que lors des apartés improvisés durant les repas ou les soirées. Il s’intéressa à nos projets, sans nous suivre dans la partie constructive de l’économie distributive ; mais refusa aussi de considérer comme des hommes de science les économistes officiels qui se sont trop souvent trompés pour revendiquer la rigueur scientifique. Toutefois, il nous a un peu déçu, car la partie constructive de sa socioéconomie semble ne résider qu’en une redistribution plus équitable qui consisterait à solvabiliser les économiquement faibles en vue de relancer la production et de diminuer le chômage. Beaucoup de gouvernements l’ont essayé et ont échoué. Pierre Vinot ne dit pas comment il réussirait...

Le Système Monétaire International

Guy Marchand, secrétaire général du Congrès des Peuples, et hôte de l’I.E.M., rappela les interventions auxquelles il se livra pendant plus de quarante années auprès des grands de ce monde afin de leur arracher, la plupart du temps sans succès, quelques déclarations en faveur du mondialisme. Il affirma, comme nous, que le revenu doit être basé sur la production et non sur la durée du travail. Il se demanda pourquoi les propositions de réforme du S.M.I., en particulier celle de Charles Warin (4) n’ont jusqu’à présent pas abouti. Répondons lui ici que lorsqu’on domine la haute finance mondiale, lorsqu’on possède une monnaie et un système à la fois nationaux et internationaux que l’on peut manipuler à sa guise, il n’est pas question d’en changer sauf contraint par une force beaucoup plus puissante que celle des distributistes et des mondialistes d’à présent. Guy Marchand a également parlé de son dernier opuscule (5).

Le partenariat égal

Présenté par John Roberts, Professeur de Faculté, Christopher Layton, Directeur Honoraire à la Communauté Économique Européenne, décrivit un monde dominé par les pays riches au détriment des pays en voie de développement. Il se borna à souhaiter plus de démocratie, une réforme de l’O.N.U., une évolution vers des entités régionales dotées d’une monnaie propre (un "monde multipolaire") et un transfert des ressources... Beaucoup de bons sentiments...

Le rôle de l’organisation bancaire

Non sans naïveté, Penny Johnson, Conseillère financière à la City Bank de New-York, expliqua le rôle de la banque à tous les échélons : mondial, régional, sous-régional, en faveur du développement. Elle n’omit point de signaler les profits importants et les postes bien rémunérés que les banques multinationales, moyennes ou plus spécialisées tirent de cette activité humaniste au plus haut point. Ajoutons : avec le succès que l’on sait : plus de mille deux cents milliards de dollars de dette des P.V.D. envers les banques prêteuses.

Cession des ressources naturelles et fédéralisme

Charlotte Waterlow est membre du Comité exécutif des fédéralistes mondiaux de Grande-Bretagne. Elle fit un sombre inventaire des menaces qui pèsent sur notre planète. Menaces nucléaire, écologique, démographique, climatique, énergétique. Face à ces périls, elle posa le principe selon lequel depuis la famille jusqu’au monde entier, les décisions doivent être prises au niveau concerné, c’est-à-dire le fédéralisme. Il serait en mesure, selon elle, de faciliter les solutions les plus efficaces : paix mondiale, lutte contre les pollutions, planification, statut de l’atmosphère, recherche de nouvelles énergies propres, notamment et respectivement.

La monnaie et le fédéralisme mondial

Dario Velo, Professeur d’économie, après avoir évoqué l’époque où la Livre Sterling, puis le dollar, ont servi de monnaie de change internationale reconnue par tous, a proposé que l’Europe s’unisse afin que sa monnaie accède au même rang. II a envisagé un plan Marshall européen pour l’Afrique et l’accroissement de la dette du tiers-monde qui est de l’intérêt à la fois des pays développés et des pays pauvres afin que survive le système. Pour lui, la fin du système capitaliste n’est évidemment pas envisageable...

Les limites du nouvel ordre économique international et conclusions

Isabelle Hannequart, Assistante en droit public à la Faculté de Tours et secrétaire-trésorière du Conseil d’Administration de I’I.E.M., a ensuite montré quelles sont juridiquement parlant les limites du nouvel ordre économique mondial. Marc Garcet, Professeur à l’Institut d’Etudes Sociales de Bruxelles, délégué au Congrès des Peuples et Président de I’I.E.M. a tiré les conclusions de la session 1988 de l’I.E.M.

L’économie distributive et le mondialisme

Auparavant, une journée complète fut consacrée à l’économie distributive. Au cours de son introduction, Jean Prédine a lu des extraits du message que Marie-Louise Duboin avait adressé aux congressistes et qui leur fut remis.
Il revenait à André Prime de traiter le sujet proposé  : "La crise des marchés et l’économie distributive". Il s’en acquitta en faisant un large historique de l’économie mondiale à notre manière. En vue de montrer l’accélération du progrès scientifique et technique, il reprit la méthode consistant à réduire à une journée l’histoire de l’humanité où l’on voit que l’essentiel de la révolution scientifique se concentre sur les dernières minutes. René Marlin, lui aussi mondialiste des premières heures, a ensuite examiné les rapports de cette thèse avec le distributisme. Il insista tout spécialement sur les dangers d’un mondialisme qui ne serait pas démocratique. Évoquant les organismes mondiaux supranationaux qui sont d’ores et déjà en place sous la forme du groupe de Bilderberg et de la Trilatérale (6) il affirma nettement que ce mondialisme n’était pas le sien et engagea ses auditeurs à s’y opposer. Il admit que l’abondance n’existant pas partout dans le monde, il convenait provisoirement d’envisager l’instauration d’un socialisme distributif surtout dans les pays industrialisés de l’ouest et proposa le cadre européen dans la perspective du 1er janvier 1993. Il insista sur la synergie entre le mondialisme et l’économie distributive. Le premier prive le régime capitaliste de l’exécutoire obligé des fabrications d’armement devenues inutiles avec la disparition des menaces de guerre et pousse donc à un changement de régime économique. Il soutint l’idée d’une collaboration accrue entre distributistes et mondialistes. Répondant aux questions, André Prime et René Marlin insistèrent sur le fait qu’il ne faut pas confondre économie distributive et gaspillage, donc pollution. Au contraire, la disparition de la recherche du profit immédiat permettrait l’innovation dans l’économie des matières premières et de l’énergie, ainsi que

la primauté des soucis écologiques. Le soir, Guy Denizeau exposa son projet de franc "vert" (7) et Guy Ostenbrock celui de monnaiecalorie (8). Ce furent donc plus de 8 heures de cours et de débats qui ont été consacrées à l’économie distributive ou à des propositions connexes. _ Nous avons, je crois, profité de l’occasion qui nous fut donnée de faire mieux connaître l’économie distributive et de rectifier les fausses informations que certains font courir volontairement ou involontairement sur elle. Bien entendu, le sujet ne fut pas épuisé, il était trop vaste. De même ce court compte-rendu tout à fait succint et forcément subjectif ne peut que donner une idée trop simple de la richesse des matières abordées. Le lecteur intéressé pourra se reporter aux polycopiés des cours de l’I.E.M. (9).
Signalons enfin que l’auditoire comprenait en permanence environ 50 à 60 "étudiants", "professeurs" ainsi que les responsables de l’Institut. Des personnalités locales ont assisté à certaines séances et le journal "Sud-Ouest" a publié de nombreux articles sur les réunions, en particulier le 5 août : une cinquantaine de lignes sur les interventions des distributistes.
Le bon grain a été semé. Espérons qu’il germera, au moins dans quelques cerveaux parmi les plus
réceptifs...

(1) Voir G.R. n° 869.
(2) Voir "Minimum social garanti pour l’Europe" G.R. n°  870.
(3) Système selon lequel il n’y aurait qu’une seule sorte d’économie possible. A. Marc fait sûrement allusion à son économie bizonale. Voir (2).
(4) "Une monnaie pour un nouvel ordre économique mondial", ed. Club humaniste.
(5) "La compétitivité, mère du chômage". Même éditeur.
(6) Nous y reviendrons plus en détail.
(7) Voir G.R. n° 869.
(8) Voir G.R. n° 868.
(9) S’adresser à Isabelle Hennequart, 111 avenue Aristide Briand 35000 RENNES.